Les heures passent vite, le jour J se rapproche à grands pas, l'école est maintenant une véritable ruche où tous s'activent dans les couloirs, les salles, les classes, sur la cour.
Les Atsem mettent la touche finale au ménage, il faut que ça brille ! Elles nous donnent un sérieux coup de main pour la préparation matérielle, y vont de leurs conseils, souvent avisés :
« On met des boites de mouchoir sur le meuble de l'entrée ?
Tu as prévu d'autres rechanges ?, on n'a plus beaucoup de petites culottes, les mamans ne les rapportent pas toujours !
On pourrait peut-être pousser un peu plus le chevalet, ça gagnerait de la place.
Tu veux que j'installe les étiquettes au-dessus des porte-manteaux ?
Tu préfères que je commence par quoi ? »
Ceci c'est dans le cas où on s'entend bien avec l'Atsem qui travaille avec nous, si elle n'a pas été réquisitionnée ailleurs dans l'école pour aider au ménage, et si on lui a accordé suffisamment d'heures...
La bonne entente avec l'Atsem qui travaille à nos côtés est primordiale et pourtant ce n'est pas toujours évident.
Ces femmes sont mal payées pour leur travail auprès des enfants, leurs horaires, leur polyvalence, la somme de travail qu'elles effectuent. Elles ne touchent que le smig, sans augmentation de celui-ci par rapport à leur ancienneté. Ceci dans le privé, j'ai appris qu 'elles étaient mieux payées dans le public, tant mieux pour elles, c'est mérité.
Leur statut peut donc leur paraître un peu ingrat par rapport au nôtre. Si on a la charge effective de la classe, l'entière responsabilité, et bien entendu la préparation pédagogique avec tout ce que cela entraîne une fois la classe terminée, réunions, concertations, multiples recherches, l'Atsem est bel et bien présente à nos côtés dans les tâches matérielles inhérentes à ce travail.
Elle est présente auprès des enfants, parfois plus proche d'eux car nous enseignant, garant de l'autorité, on se doit de garder une certaine distance, même si en maternelle on est bien évidemment près des petits.
En théorie l'Atsem doit en référer à notre autorité avant d'accomplir telle ou telle tâche mais dans la pratique c'est impossible, on lui fait confiance et on lui confie par exemple un atelier au moment où les enfants travaillent en groupe, à cet âge ils ne sont pas autonomes. Notre rôle étant d'expliquer,à l'Atsem ce qu'on attend d'elle.
Ayant changé d'école régulièrement, j'ai eu affaire à différentes personnalités. Si je me suis bien entendue avec la plupart d'entre elles, dont une avec laquelle j'ai gardé un contact amical, il est arrivé que cela se passe mal avec deux d'entre elles.
La pire situation, je l'ai connue dans la vieille école dont j'ai déjà parlé plus haut, à propos de collègues installées là depuis leurs débuts et de la vétusté des murs.
L'Atsem qui travaillait avec moi faisait la tête quasiment en permanence ! C'est très désagréable à vivre au jour le jour. Elle passait une bonne partie de son temps, qui normalement devait être en présence dans la classe, à balayer...les graviers sur la cour... un vrai Toc !
L'ambiance de cette école était déplorable, les gens attachés à leurs habitudes se connaissaient tous en dehors de l'école. Je pense qu'elle me faisait payer ma différence d'avec l'instit que je remplaçais qui avait enseigné dans l'école durant plus de 20 ans !
Dès que j'ai pu je me suis envolée, profitant de « l'opportunité » d'une fermeture de classe (on a alors droit à une priorité 1 pour le reclassement, j'ai sauté sur l'occasion, ne manquant pas de me faire mal voir par une autre collègue, bien plus hypocrite que moi et qui aurait voulu profiter de l'aubaine pour se rapprocher de son domicile... dans ce cas-là je n'avais aucun scrupule à lui passer devant, ayant beaucoup plus d'ancienneté qu'elle. Autant dire que la fin d'année a été encore plus horrible à vivre !)
Pendant les cinq dernières années, passées ensuite dans une école où je me plaisais, j'ai travaillé avec un « cas ».
La première année, l'Atsem, appelons-là Marie, et moi nous étions complices, on s'entendait très bien, on riait beaucoup. A la suite d'un quiproquos , notre complicité s'est hélas dégradée. A la fin de l'année, un jour, elle était partie en courant de la classe, en me criant :
« J' ai rendez-vous avec Mr le Directeur » le soir, quand j'ai demandé de quoi il s'agissait, la seule réponse a été « Je lui ai dit que je m'ennuyais » !!
J'ai eu bien du mal à comprendre la signification exacte du mot ennui venant d'une personne qui courrait tout le temps, dans une classe où on est sollicité en permanence par les petits...
Elle m'a expliqué beaucoup plus tard, qu'elle aimait les changements, qu'elle avait besoin d'être en activité tout le temps, en speed, sinon elle « déprimait »...
Par la suite, c'était cyclotimique : durant quelques mois, elle boudait, faisant son travail auprès des enfants sans entrain, me lançant des sous-entendus devant eux régulièrement, attendant que je lui explique tout de A à Z, ne prenant plus aucune initiative, ne m'assistant plus pour m'éviter les oublis (il faut en permanence penser à tout dans une journée de classe), bref, ce n'était pas drôle du tout !
Cela se terminait invariablement de la même façon quelques semaines plus tard : je craquais et lui demandais de s'expliquer sur ce qui n'allait pas !
J'ai toujours eu horreur des bouderies, je préfère les explications, la communication, même si j'avoue une certaine crainte du conflit.
Ensuite ça semblait aller mieux, durant quelques temps, une véritable lune de miel où notre précédente entente revenait. Je gardais toujours cependant à l'esprit que cela ne durerait pas et, sur un autre malentendu, effectivement, c'est ce qui se passait... cela a été ainsi bon an mal an, les trois dernières années.
Tout s'est bien terminé car, un jour que j'avais réellement craqué, pour des raisons familiales assez graves, j'étais à fleur de peau et ce jour-là je ne supportais plus sa bouderie, elle a eu la bonne idée d'aller chercher le directeur. Il s'ensuivit une discussion animée, en sa présence, qui a débloqué, pour les six derniers mois, cette pesante situation.
J'ai pris le temps d'expliquer ces rapports pas forcément évidents entre Marie et moi sachant qu'on passe la journée entière ensemble auprès des enfants et que ceux-ci sentent très bien s'il y a ou non tension entre les adultes qui s'occupent d'eux.
Dois-je préciser que la différence de statut expliquée plus haut, n'arrange pas nos rapports, d'un côté on se doit de travailler main dans la main, de l'autre, il faut bien que nous, enseignants, nous soyons un peu « chef » et dictions nos aspirations pour la classe dont on a la charge. Alors où trouver le juste milieu entre la copinerie et la tyrannie ? Comment éviter une certaine jalousie ?
Pas facile non plus, encore une fois, de débarquer dans une école, avec nos propres méthodes de travail et de devoir demander à l'Atsem en place depuis parfois de nombreuses années, de changer les habitudes prises avec l'instit qui nous a précédés.
J'ai appris par la suite, que celle qui était dans la classe avant moi, coachait en permanence Marie, un peu comme une mère. Préférant quant à moi travailler de manière plus autonome et en confiance avec elle, l'adaptation n'a pas été facile.
Elle était souvent perdue, voire paniquée quand elle devait prendre une initiative ou quand je bouleversais une de ses habitudes.
La rentrée c'est donc tout ça aussi, la reprise de contact avec les uns et les autres, collègues, atsem, et tous ceux que l'on côtoiera durant l'année scolaire, avec plus ou moins de bonheur.